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jeudi 13 août 2015

Fini de jouer



Pour maintenir la société en fonctionnement à son niveau actuel dans l’économie globale, il faut des quantités énormes d’énergie. On l’a fait jusqu’ici principalement en brûlant des carburants fossiles qui envoient d’énormes quantités de CO2 dans l’atmosphère.
Le Réchauffement. Si nous continuons à ce rythme, il fera de plus en plus chaud dans les décennies à venir, plus chaud qu’il n’a jamais fait dans les dernières 15 millions d’années.
Pendant le siècle dernier, nous avons chauffé la planète en déversant dans l’air d’énormes quantités de gaz à effet de serre (GES), spécialement le CO2, le méthane CH4, le protoxyde d'azote N2O.


Selon le rythme de rejet de CO2 en plus par an, ce 1er graphique nous montre ce qu’il adviendra après avoir stoppé nos émissions de CO2 à différents niveaux. Il s’éliminera très peu au cours des 2 prochains millénaires. Et nous avons déjà dépassé le niveau de 400 ppm.

Même en stoppant les émissions de CO2, la planète ne peut les digérer que très lentement et jamais totalement, grâce à l’absorption du CO2 par les forêts et des océans principalement.


L’augmentation de température est actuellement si rapide que beaucoup d’espèces vivantes sur Terre ne seront bientôt plus capable de s’y adapter. Dans certains endroits où les gens vivent actuellement il fera trop chaud pour les mammifères – nous y compris – pour survivre à l’extérieur.


Si nous arrêtions brusquement nos émissions de GES, la température supplémentaire du réchauffement ne retomberait pas, mais se réduirait seulement très légèrement après  quelques centaines d’années comme le montre ce 2e graphique. Les courbes correspondent ici à un arrêt des émissions de CO2 aux différents niveaux de concentration indiqués dans le 1er graphique.


Et ce calcul théorique ne tient pas compte des feux de forêts dans le monde. Car il y a une accélération des surfaces forestières perdues chaque année dans le monde par le feu, ce qui prive la planète progressivement d’un outil très important de lutte contre le CO2. Et depuis le grand feu de 1988 dans le Parc Naturel de Yellowstone, on sait que la croissance des jours de sécheresses est propice aux départs de feux de plus en plus fréquents, initiés par la foudre.


Ainsi la concentration des GES ne tombera de moitié qu’après 800 ans pour le CO2, 100 ans pour le protoxyde d'azote N2O, 20 ans pour le méthane CH4.


L’Anthropocène. En moyenne la température à la surface de la Terre avait varié jusqu’ici d’un degré Celsius sur une période de 10.000 ans, en bleu sur ce 3e graphique.

Au rythme actuel, nous nous apprêtons à chauffer encore plus la planète pendant les prochaines décennies. La prévision selon le scénario ‘comme d’habitude’ (business-as-usual) est de 4° à 7°C de réchauffement d’ici la fin du siècle.

À l’échelle des ères géologiques nous avons provoqué un complet décrochage (en rouge).

Ce gros changement climatique, et aussi rapide, ne présage pas de bonnes choses pour les gens : cela signifie la perte de millions de vies, des centaines de millions d’exilés climatiques, des cultures défaillantes, des feux de forêts, la fonte des glaciers, de nouvelles maladies et l’extinction des espèces dont nous avons besoin. Ce ne sont pas des spéculations – nous avons déjà vu le commencement de ces faits, et les prévisions des impacts à venir sont basés sur la science pure qui pointe sur ces risques dans un avenir proche, comme précisés dans de nombreux livres récents(1), et par des milliers d’articles scientifiques et par des rapports globaux tels que ceux du GIEC, de l’Académie des Sciences US, de la Royal Society britannique.


Nous sommes entrés dans l’ère anthropocène, une nouvelle ère géologique provoquée par l’homme, son économie, sa finance débridée, son industrie, sa pollution, ses saccages environnementaux.

La démographie. Les projections même conservatives, indiquent que le monde comptera 2 à 3 milliards de gens en plus en 2050, dont chacun voudra son habitation avec sa propre quantité d’objets de la vie courante.

Dans le délai d’une génération, on sait que la densité moyenne de la population mondiale pour l’ensemble des terrains habitables sur Terre sera à peu près égale à ce qu’elle est en Inde aujourd’hui. Ces 2-3 millions de personnes en plus, serons entassés dans la toute petite partie du sol terrestre qui est disponible pour occupation, ce qui représente en réalité 20% de la surface des terres de la planète, soit ce qui reste après avoir retranché les 40% où nous avons besoin de faire pousser notre nourriture, et les 40% de terrains inhospitalier – barres montagneuses, déserts arides, glaciers – qui ne peuvent recevoir beaucoup de population.

Voyons un peu les conséquences du rythme actuel de productions de nos biens. Par exemple, pour produire nos ordinateurs portables à écran tactile, cela nécessite de creuser pour obtenir des minerais qui après transformation deviendront des éléments comme : yttrium, lanthanum, lithium, praseodymium, europium, gadolinium, terbium, dysprosium, cerium, neodymium, etc. Ce sont les terres-rares ainsi nommées parce qu’il existe peu de mines qui les produisent ou parce qu’elles ne sont pas économiquement viables, et qu’on les trouve dans peu de pays. Aujourd’hui la Chine produit 90% des terres-rares nécessaires pour produire nos téléphones mobiles, etc. mais aussi pour des composants critiques dans les moteurs et les batteries des voitures hybrides et électriques, dans les turbines des éoliennes, et bien d’autres choses.

Le mythe actuel que le seul modèle économique viable est la croissance continue – c’est-à-dire produire et vendre de plus en plus d’objets – est démenti par une baisse continue du taux de croissance du PIB depuis plus de 50 ans dans les pays développés. La seule chose qui est compatible avec notre planète est de maintenir l’économie à un niveau confortable, et constant. Il faudra désormais concevoir des produits dont l’empreinte environnementale du berceau-à-la-tombe est effectivement proche de zéro, et encourager le réemploi et la rénovation des objets déjà disponibles.

Beaucoup d’études ont essayé de déterminer le niveau du bien-être humain optimal, c’est-à-dire, le niveau de prix où l’argent gagné et les objets qu’on peut acheter avec, n’accroit plus substantiel­le­ment le bonheur. Ce niveau est, avec surprise, aussi bas que 12.000 $ de revenu annuel par tête en moyenne mondiale (à partir de 2010). La solution n’est pas d’acheter plus d’objets, mais plus d’expériences comme aller à un concert, faire un voyage, qui sont des expériences qui apportent une joie plus durable.

Au-delà de ce niveau, nous entrons dans le domaine du consumérisme. Tim Jackson professeur de développement durable à l’Université du Surrey, a déjà développé ce sujet.

Les êtres humains, en moyenne mondiale, continuent à faire croître leur population. Au rythme des 10 dernières années, la planète devrait dépasser 27 milliards de personnes en 2100.

En supposant que les conditions économiques continuent à s’améliorer dans des zones en développement ou à population nombreuse comme la Chine, l’Inde et l’Afrique, l’empreinte environnementale moyenne par personne va augmenter de telle sorte que la planète accélèrera encore plus vite vers les seuils dangereux de basculement global que sont le changement climatique, la pollution de l’environnement, la rareté des ressources fossiles et la réduction de la production agricole.

Notre nourriture. Voyons maintenant, la production de nourriture pour ces quelques 9 milliards de personnes en 2050.

La capacité des océans à produire de la nourriture a été impactée par la perte des vies qui peuplent les coraux. En Australie, la pêche et le tourisme dépendent de la grande barrière de corail qui est essentiel pour l’économie nationale. Si les récifs de coraux disparaissent dans le monde entier, outre que cela coûtera cher à l’économie, il en résultera l’extinction d’un quart de toute vie dans les océans, ce qui éliminera 10% des pêcheries mondiales.

La production de maïs tombe en fonction de l’augmentation du nombre des jours de chaleur et de sécheresse ; c’est un impact climatique que nous pouvons déjà voir. Les fermiers du Middle West américain ont vu leur production réduite de 40 à 60% en 2012. C’est aussi le cas en 2015 en Europe où on s’attend à une baisse de 25 à 30% sur le maïs par défaut d’une irrigation optimale dans de nombreuses fermes.

Les régions de culture du riz dans le monde souffriront de la montée du niveau de la mer et de la météo extrême et on s’attend à une baisse de production de 10 à 15% dans les prochaines décennies.
Tous cela au moment où la planète aura 2 milliards de bouches à nourrir en plus. Ce genre d’impacts – feux de forêt, inondations, montée des eaux, défaillance des océans à nous nourrir – ont fait que des gens d’habitude climato-sceptiques se sont mis autour de la table pour prendre note de tous ces phénomènes, grandes multinationales et militaires en tête.

La faim en Afrique n’était pas endémique jusqu’au milieu du XXe siècle, car l’agriculture et le pâturage du bétail semblait bien marcher jusqu’à une série d’années de sécheresse où des millions de personnes affamées quittaient le Sahel et le sud du désert du Sahara. Les prévisions du GIEC et de la Banque Mondiale est que ce genre de situations va augmenter en Afrique. Le rapport du GIEC de 2007 projetait déjà une réduction des productions jusqu’à 50% dans certains pays d’Afrique. Une étude de 2013 de la Banque Mondiale avertissait qu’en 2030 « la sécheresse et la chaleur rendra 40% des terres produisant actuellement du maïs incapable de supporter cette plante, tandis que la montée des températures pourrait provoquer des pertes majeures dans les herbages de la savane, menaçant les moyens d’existence des bergers ». En 2050, selon la région, la part de la population africaine sous-alimentée est prévue de s’accroître de 25 à 90% en comparaison de la situation présente.

En additionnant les terrains de pâturage, plus les terrains agricoles, la proportion de terrains utilisés pour nourrir le bétail est de 75% des terres cultivées. Pour cette raison, réduire la consommation de viande représenterait une aide énorme à résoudre le problème alimentaire : si tout le monde devenait brusquement végétarien, la quantité de calories dans les estomacs s’accroitrait de 50%.  Un bénéfice supplémentaire, qui concerne les rétroactions conduisant aux points de basculement du changement climatique, fait qu’il y aurait moins de vaches, de chèvres et de moutons produisant du gaz méthane en pétant lors de la digestion. Environ 34% des émissions de méthane provient des pets d’animaux de ferme et de leurs déchets.

Il faut combattre le gâchis alimentaire dans les pays développés, qui représente environ 40% de la nourriture que nous achetons. Les gens mangent bien ce qui est dans leur assiette, mais le gâchis vient en amont dans le processus de production. 30 à 50% de la nourriture qui a poussé ou grandi à la ferme n’atteint jamais les gens, parce qu’elle est abimée ou gâchée dans le voyage de la ferme au traitement, au stockage et à la livraison au consommateur. Le circuit court, de distribution locale réduit de beaucoup ce gâchis.

Tout cela ne répond pas au problème posé par le changement climatique sur la fourniture de la nourriture dans le monde. Nous sommes quasiment certains de voir bientôt un monde 2°C plus chaud, et nous pourrions voir un réchauffement de 5°C ou plus d’ici la fin de ce siècle. Ceci signifie qu’il y aura de plus en plus de jours d’été secs et chauds pour notre agriculture.

Selon une étude de Stanford University, les compteurs sont remis à zéro pour l’Europe sur ce que pourrait être la production en 2040 avec +2°C : Baisses de productions du blé de 30%, de l’orge de plus de 20% et du maïs de 10% sans changement des techniques agricoles face au climat. Des baisses quasiment de même ampleur au plan mondial dès que les températures dépassent 30°C.
La surveillance du niveau des eaux de puits et des nappes phréatiques, permet clairement  de dire que les sources d’eau s’assèchent dans le monde entier. Ceci est confirmé par les observations satellites (mission GRACE de la NASA).

L’eau que nous buvons ne représente que 10% de toute l’eau utilisée dans le monde. Pourtant ce qui accélère notre ruée vers un point de basculement mondial c’est  la croissance de la population, l’eau nécessaire pour la production de viande, pour les cultures agricoles et maraichères, pour la production d’énergie, la demande pour la fabrication des biens de consommations et le changement climatique lui-même. Le tout conduit à une crise de l’eau mondiale. Quand l’eau devient rare, un conflit insoluble entre l’agriculture, l’élevage et la production électrique peut se produire. C’est ce qui a produits des émeutes anti-gouvernementales au Pakistan en 2012.

Selon la CNA américaine chargée de parer aux problèmes sécuritaires aux USA, la compétition pour cette ressource limitée entre l’agriculture, l’industrie, les municipalités, et la production d’électricité menace de devenir aiguë dans plusieurs régions du monde. En bas de leurs études la dernière ligne c’est qu’en 2040 le monde sera en face d’une crise de pénurie d’eau, si l’économie continue ‘comme d’habitude’ (business as usual). Actuellement 1,1 milliards de personnes n’ont pas un accès adéquat à l’eau. En 2025 environ 3 milliards de personnes manqueront d’eau.

A côté de ceci, les sècheresses accrues provoquent des problèmes imminents de fonte des glaciers. Un tiers de la population mondiale – Asie Centrale, Amérique Latine, Asie du sud – tient son eau des rivières provenant des glaciers de haute montagne. La réduction des flux provenant des glaciers de l’Himalaya impactera le Brahmapoutre, le Gange, l’Indus, l’Irrawaddy, le Mékong et le Yang Tse, tous alimenté par les glaciers. Ceci impactera plus de 3 milliards de personnes, plus d’un quart de la population mondiale. Ces tensions sur l’eau vont s’accroître dans les prochaines années.

L’avenir modélisé. Au début des années 1970, le Club de Rome – Groupe de réflexion regroupant des scientifiques, des économistes, de hauts fonctionnaires nationaux et internationaux, ainsi que des industriels de 53 pays – demande à des chercheurs du MIT (Massachusetts Institute of Technology) d’étudier l’évolution à long terme du système « Terre » et pour ce faire de le modéliser.

En 1972, Donella Meadows, Dennis Meadows, Jorgen Randers et 14 autres chercheurs mettaient la Théorie de la Dynamique des Systèmes en équations. Cette Théorie provient des travaux de Jay Forrester, professeur au MIT, concepteur du modèle informatique Word3. Ce modèle systémique va paramétrer le monde, en particulier la démographie, les productions industrielles et de services, la nourriture dans le monde, la pollution et l’épuisement des ressources non-renouvelables. Les relations entre tous ces paramètres vont être mises en équations. En introduisant des données réelles dans Word3, on peut simuler le comportement du « système Terre » jusqu’en 2100.

Le 1er scénario en mode ‘comme d’habitude’ (business as usual) montre le futur effondrement systémique de notre planète entre 2010 et 2030. L’économie industrielle et de services  décroche entre 2015 et 2025 plus rapidement que jadis le rythme exponentiel de leur croissance. La population mondiale commence à décroître inexorablement à partir de 2030. Les ressources non-renouvelables de la planète tombent dès 2030 à 25% de ce qu’elles étaient avant la période industrielle.

Des solutions ont été modélisées dans de nombreux scénarios en forçant certains paramètres. Les dernières solutions viables ont été publiées en 2004 dans le livre « Limits to Growth, The 30-Years Update » qui n’est paru en français qu’en 2012 sous le titre « Les limites à la croissance (dans un monde fini) ». Dennis Meadows s’est exprimé récemment à ce sujet en Europe. Il ne croit plus à la possibilité d’un scénario de « secours ». La chose est devenue trop importante pour la laisser sur la place publique – comme l’ont fait Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans leur livre(1) – et les appareils de sécurité d’état semblent avoir poussé Barack Obama à s’en préoccuper récemment.

Les experts des problèmes de sécurité d’état utilisent le terme de ‘multiplication des menaces’ pour désigner les impacts combinés du changement climatique, de la croissance de la population, des déplacements d’exilés climatiques, de diminution des ressources (fossiles, minerais) et de leur accès. De cette association de menaces combinées résulte un problème mondial beaucoup plus grand qu’il n’y parait et qu’il nous faut anticiper à partir de chacun de ces impacts. L’autre terme utilisé dans ce contexte est ‘point de basculement’ (tipping point), où il faut entendre le basculement du monde dans une nouvelle normalité. C’est vrai en particulier pour le nombre et l’intensité des conflits militaires auxquels il faut s’attendre à tout moment – c’est-à-dire les guerres.

De ces sombres prédictions surgit cette question : Pouvons-nous faire quelque chose pour éviter d’accroître les désastres liés au climat ? La réponse est simple : nous savons exactement comment faire pour éviter des problèmes plus importants et cela depuis plus de 30 ans : c’est de convertir nos systèmes d’énergie depuis le présent système complètement dépendant des carburants fossiles crachant des GES, vers un système essentiellement neutre en GES. En fait, la technologie pour ce faire existe largement, et aurait pu être déployée de façon appropriée en trois décennies si des incitations économiques utiles avaient été mises en place par les politiques. Pas sûr que cela suffise encore…

De quel avenir va-t-on pouvoir discuter en décembre 2015 à Paris ?

(1)
Comment tout peut s’effondrer, Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, 2015. Par Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Editions du seuil.
End Game, Tipping Point for Planet Earth? 2015. Par Anthony D. Barnosky, professeur à l’Université de Californie à Berkley, et Elizabeth A. Hadly, professeur à l’Université Standford, aux éditions William Collins, London.
Requiem pour l’espèce humaine. Par Clive Hamilton, professeur à l’Université Charles Sturt en Australie, aux Presses de la Fondation des Sciences Politiques, 2013.

samedi 4 janvier 2014

L'ÉVÉNEMENT ANTHROPOCÈNE
La terre, l'histoire et nous

Pour des raisons climatiques, il faut absolument des choix politiques de contraintes énergétiques, bien avant que les prix de l'énergie nous forcent à changer de modèle.
Extraits choisis:
« L'Événement Anthropocène bouleverse les sciences humaines et sociales et ébranle leurs paradigmes et leurs catégorisations. Ce sont désormais les sciences du système Terre, et non plus les historiens, qui nomment l'époque géologique dans laquelle nous vivons. Certes, un vertige nous prend, une perte de repère pour les humanités environnementales, à devoir penser désormais l'agir humain aussi à l'échelle géologique de dizaines de milliers d'années.

L'Anthropocène est le concept philosophique, religieux, anthropologique et politique le plus décisif jamais produit comme alternative aux idées de modernité. Les travaux des années 1970 sur l'impossibilité d'une croissance indéfinie dans une planète finie furent soigneusement mis sous le boisseau par les promesses rassurantes de l'innovation technologique et par ce mot d'ordre du "développement durable". Alors que ces travaux prônaient une économie au service du social et à l'intérieur des limites biophysiques de la planète, le discours du "développement durable" qui s'imposa à partir des années 1980 affirmait mettre en négociation trois pôles bien identifiés: l'économique, le social et l'environnement.

Au lieu de cela on a fait de l'environnement une nouvelle colonne dans la comptabilité des entreprises: les nouveaux "services écosystémiques" feront l'objet de marchés ; la biosphère, l'hydrosphère et l'atmosphère deviendrons de simples sous-systèmes de la sphère financière et marchande. L'un des aspects déterminants dans le passé de l'Anthropocène fut la capacité à rendre politiquement inoffensives les dégradations et les critiques.

Depuis Spoutnik, des milliers de satellites encerclent la Terre en boucles de 90 minutes. Leurs ondes enveloppent le globe d'une deuxième atmosphère, une techno-sphère. Le réseau dense des données issues d'observations satellitaires et la lourde infrastructure informatique qui permet de les traiter font à la fois partie de "ce qui nous sauve", en nous permettant de mieux connaître les impacts humains sur le système Terre, et de ce qui nous a perdu, en ce qu'ils participent du projet de domination absolue de la planète qui est une des causes de notre enfoncement dans la période d'Accélération de l'Anthropocène après 1945. La part de responsabilité écrasante dans le changement climatique des deux puissances hégémoniques du XIXe siècle (le Royaume-Uni) et du XXe siècle (les Etats-Unis d'Amérique) témoigne du lien fondamental entre la crise climatique et les entreprises de domination globale.

Dès lors qu'il n'est plus possible de s'abstraire de la nature, il s'agit de penser avec Gaïa. Une des tâches majeures de la philosophie contemporaine est sans doute de repenser la liberté autrement que comme arrachement aux déterminations naturelles ; d'explorer ce qui peut être infiniment enrichissant et émancipateur dans ces attachements qui nous relient aux autres êtres d'une Terre finie. Que nous reste-t-il d'infini dans un monde fini ?

A l'heure de l'Anthropocène, le fonctionnement de la Terre toute entière devient une affaire de choix politiques humains. L'Anthropocène est politique en ce qu'il implique d'arbitrer entre divers forçages humains antagonistes sur la planète, entre les empreintes laissées par les différents groupes humains, par différents choix techniques et industriels, ou entre différents modes de vie et de consommation. Il importe alors d'investir politiquement l'Anthropocène pour surmonter les contradictions et les limites d'un modèle de modernité qui s'est globalisé depuis deux siècles, et explorer les voies d'une descente rapide et équitablement répartie de l'empreinte écologique des sociétés. La bonne politique sera celle qui réalisera la "mise en œuvre avisée" des savoirs neutres de la science ; l'humanité deviendra écologiquement soutenable lorsque le message de la science l'aura bien pénétrée et qu'elle aura adopté ses solutions.

L'histoire de l'énergie est surtout celle de choix politiques, militaires et idéologiques qu'il faut analyser en historien, c'est-à-dire en les rapportant aux intérêts et aux objectifs stratégiques de certains groupes sociaux. Avoir cette lecture de l'histoire énergétique est particulièrement important dans le contexte climatique actuel : le recours aux pétroles non conventionnels et aux gaz de schiste montre qu'on ne saurait laisser les réserves "naturelles" dicter le tempo de la transition énergétique. Pour des raisons climatiques, il faut absolument produire une contrainte politique bien avant que le "signal prix" nous force à changer de modèle !

L'Anthropocène est un point de non-retour. Il faut donc apprendre à y survivre, c'est-à-dire à stabiliser le système Terre dans un état un tant soit peu habitable et résilient, limitant la fréquence des catastrophes, sources de misère humaine. Mais aussi à y vivre, dans la diversité des cultures et l'égalité des droits et des conditions, dans des liens qui libèrent les altérités humaines et non humaines, dans l'infini des aspirations, la sobriété des consommations, et l'humilité des interventions. Ce qui peut nous aider à habiter l'Anthropocène n'est donc pas une science trop sûre d'elle-même, ce n'est pas "la présomption d'un savoir suffisant, mais la reconnaissance de notre ignorance". Loin de l'avènement d'un "âge de l'homme", l'Anthropocène témoigne donc de notre impuissant pouvoir.

Quelles paroles faut-il semer, pour que les jardins du monde redeviennent fertiles ? Quelles histoires faut-il écrire pour apprendre à vivre l'Anthropocène ? »

lundi 23 décembre 2013

Au Grand Casino de la Finance, par Paul Jorion

« Paul Jorion est titulaire de la chaire « Stewardship of Finance » à la ’’Vrije Universiteit Brussel’’ et fait partie du Groupe de réflexion sur l’économie positive dirigé par Jacques Attali. Il est diplômé en sociologie et en anthropologie sociale (Docteur en Sciences Sociales de l’Université Libre de Bruxelles). Il a enseigné aux universités de Bruxelles, Cambridge, Paris VIII et à l’Université de Californie à Irvine. Il a également été fonctionnaire des Nations-Unies (FAO), participant à des projets de développement en Afrique. » C’est ainsi qu’il se présente lui-même.

D’après mon analyse de cet article trouvé sur son Blog, Paul Jorion nous fait partager l’ambiance des salles de marché, peuplées de « traders » animés par la cupidité et l’adrénaline propres aux spéculateurs de la finance. Quand une banque vacille, ces tricheurs gagnent des centaines de millions d’euros en pariant sur sa perte. Les banques elles-mêmes trichent aussi, comme on l’a vu dans les scandales du Libor et de l’Euribor. Des ententes généralisées entre tous ces tricheurs entraînent les banques et toute la finance vers une chute « systémique » inéluctable.

Fin du XIXème siècle, au plus fort de la colonisation, des groupes de pression font supprimer les lois anti-spéculation. Les richesses pillées dans les Colonies, dont nos peuples ont bénéficié aussi, ne font pas apparaître les somptueux profits qu’en tirent les spéculateurs. Mais nous en sommes maintenant arrivés à l’épuisement des ressources de la planète. Il ne reste plus à la spéculation qu’à pomper littéralement dans l’épargne des classes moyennes, dans les salaires toujours plus réduits et jusque dans les dettes et les budgets des Nations.

Ce casino financier condamne l’économie réelle. Paul Jorion préconise de remettre en vigueur les lois anciennes : l’article 421 du Code pénal qui dit « Les paris qui auraient été faits sur la hausse ou la baisse des effets publics seront punis des peines portées par l’art. 419 » ; et l’article 1965 du Code civil qui dit « La loi n’accorde aucune action pour une dette de jeu ou pour le paiement d’un pari », autrement dit, le joueur qui s’estime lésé n’a pas l’opportunité de se tourner vers les tribunaux pour demander réparation. Ces deux articles très simples permettent selon lui d’interdire la spéculation.

De mon point de vue, les Etats devront prendre d’autres mesures concomitantes pour geler ces masses financières gigantesques qui sont en train de migrer dans les marchés du « shadow banking », et permettent aux spéculateurs de parier dans des plateformes appelées « dark pools » à hauteur de 100 trillions d’euros par jour ! Et sans qu’aucune autorité de régulation financière n’y ait rien à dire !

Lors des élections européennes qui s’annoncent en 2014, chaque Européen doit se demander si le député qu’il élit a la volonté de contrer ce casino financier de toutes ses forces et quoi qu’il en coûte. C’est une question de survie pour les entreprises et donc pour l’emploi, aussi bien que pour l’épargne des gens dans les banques. C’est aussi la façon de faire sauter ce barrage qui empêche les investissements massifs dans les énergies renouvelables et l’évolution de notre habitat vers une meilleure isolation des bâtiments (maisons passives). Car il s’agit de rendre durable la vie de sept milliards de terriens !

lundi 20 mai 2013

Prospérité sans croissance
La transition vers une économie durable

Ce livre démontre la faisabilité d’une économie durable dans les limites d’un monde fini. C’est donc l’ouvrage le plus important depuis le dernier « diagnostic » du groupe de chercheurs du MIT paru sous le titre « Les limites à la croissance ».

« Le défi actuel pour l’humanité est de reconnaître et préciser les conditions d’une prospérité possible dans les limites d’une planète finie. Réaliser une prospérité durable ne peut se faire qu’en fournissant aux Êtres humains des capacités d’épanouissement à l’intérieur de ces limites dictées par les ressources disponibles et par une économie écologique.

La croissance n’est pas soutenable, car les ressources nécessaires à la production sont limitées. La croissance accroît les coûts environnementaux et les inégalités de bien-être social. La décroissance est instable et diminue la consommation, ce qui accroît le chômage. Elle diminue la compétitivité qui conduit à une spirale récessionniste. C’est le dilemme de la croissance, car elle conduit à l’impossibilité d’une prospérité durable.

Il est nécessaire de réparer les effets désastreux du consumérisme sur les Être humains. Le consumérisme est un système pathologique qui fonctionne sur une liquidité préservée des produits et une consommation qui augmente sans cesse. Il s’effondre dès que l’un des deux se bloque. Sa pathologie est basée sur une double angoisse : celle d’un consommateur à la recherche de nouveautés pour afficher un statut social, et celle d’un entrepreneur à la recherche d’innovation pour ne pas être distancé par le marché de la consommation. Face à ces mécanismes, une prospérité durable représente le défi immense de créer d’autres structures économiques et sociales. »


L’auteur nous définit un nouveau cadre macroéconomique où il inscrit l’activité économique à l’intérieur des limites écologiques d’une planète finie. L’auteur développe les équations d’un nouveau modèle macroéconomique écologique ! La logique du consumérisme doit changer pour des alternatives crédibles permettant l’épanouissement des Êtres humains sans accumulation matérielle non durable.

« La dérive culturelle qui renforce l’individualisme aux dépens de la société et qui soutient l’innovation aux dépens de la durabilité et de la tradition, constitue une distorsion de la condition humaine. C’est une dérive qui sert et est servie par la recherche de la croissance, et qui peut conduire à une utopie matérialiste et en finalité à des déceptions humaines. Car les limites écologiques de la planète ne nous donnent pas la capacité de réaliser ce rêve.

D’ici à la fin du siècle, nos enfants et nos petits enfants seront confrontés à un climat hostile, à l’épuisement des ressources, à la destruction des habitats, à la disparition des espèces, à la rareté alimentaire, aux migrations de masse et, de manière presque inévitable à la guerre.

Nous n’avons donc pas d’autre choix que de travailler à la transformation des structures et des institutions qui soutiennent le corps social avec une vision crédible de prospérité durable. Le changement peut être influencé par notre comportement électoral par la pression démocratique que nous exerçons sur nos dirigeants et par un activisme associatif ou de terrain.

En premier lieu nous devons établir les limites écologiques à l’activité humaine. Deuxièmement, nous devons remédier à l’inculte science économique de la croissance permanente. Enfin, nous devons transformer la logique sociale nuisible du consumérisme. Seule compte notre capacité à croire dans le changement et à y travailler. »


Olivier Berruyer nous en apprend beaucoup dans son blog sur la grande illusion des prévisions de croissance.


Tim Jackson ________________________________
1. « Prospérité sans croissance – La transition vers une économie durable » L’auteur, Tim Jackson, est économiste, professeur de développement durable à l’Université du Surrey. Il mène des recherches au « Centre for Environmental Strategy » (CES) sur la psychologie sociale des consommateurs.
2. « Les limites à la croissance (dans un monde fini) » est une traduction française de « The Limits to Growth, The 30-Year Update ».

jeudi 26 juillet 2012

Les limites à la croissance

Ceux d’entre nous qui dans les années 70, s’étaient intéressés aux travaux du Club de Rome sur la croissance, n’ont pas pu manquer la parution en français de la mise à jour du fameux rapport Meadows : « Les limites à la croissance1 ».

Il ya donc 40 ans en 1972, Donella Meadows, Dennis Meadows, Jorgen Randers et 14 autres chercheurs du MIT2 mettaient la Théorie de la Dynamique des Systèmes en équations pour modéliser la croissance. La Théorie de la Dynamique des Systèmes provient des travaux de Jay Forrester, professeur au MIT, concepteur du modèle informatique Word3. La version initiale de Word3 a été adaptée en Word3-91 et les résultats furent publiés sous « Beyond the Limits » en 1992. Une adaptation nouvelle en Word3-03 a engendré les résultats publiés en 2004, dont nous lisons enfin la traduction sous « Les limites à la croissance (dans un monde fini) » en 2012. 

D’après les auteurs, le scénario initial de 1972 se confirme actuellement, bien qu’il soit basé sur des données de l’époque qui décrivent de façon réaliste la seconde moitié du 20ème siècle. On y constate un décrochage avant 2020 de la production industrielle, de la production agricole (nourriture disponible),  de l’espérance de vie, du bien-être humain et des ressources non renouvelables de la planète. 

Après avoir tenté divers scénarios, les auteurs décrivent, dans un scénario n° 9, une planète qui aurait cherché, à partir de 2002, à stabiliser sa population et sa production industrielle par habitant, et qui investit dans la lutte antipollution, dans la préservation des ressources non renouvelables et dans l’agriculture. 

Cet ouvrage est à recommander comme livre de référence pour nos politiciens qui, avant de parler de « relancer » la croissance, devraient se poser les questions suivantes : À quoi sert la croissance ? À qui bénéficie-t-elle ? Combien de temps durera-t-elle ? Cette croissance peut-elle être supportée par la planète ? Ce type de croissance sert-il des objectifs sociétaux et favorise-t-il la durabilité ? 

Une société durable réviserait les modes de répartition actuels entre pauvres et riches pour qu’ils soient plus équitables. Maintenir les pauvres dans le dénuement entretient le germe de la révolte et de la guerre, et empêche de stabiliser la démographie durablement au niveau mondial. Une société durable cherchera à répondre aux besoins de tous les êtres humains. Pourvu que ceux-ci admettent que le potentiel de croissance qu’il nous reste soit réparti entre tous, et à ceux qui en ont le plus besoin. Une société durable ne peut pas se bâtir sur le découragement des plus faibles, sur le chômage, car ce sont les résultats de l’interruption de croissance de l’économie actuelle. On peut arrêter la voiture de l’économie avec ses freins, de façon durable, ou avec un mur de pierre, à la façon de la récession actuelle. 

L’économie mondiale est en dépassement de toutes les limites physiques de la planète, ce qui amène son basculement inattendu, rapide, incompatible pour y faire face avec le temps d’adaptation nécessaire aux individus et aux entreprises. Une approche volontariste vers la durabilité nécessite une préparation lente pour que chacun trouve sa place dans une nouvelle économie durable.
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1.  « Les Limites à la Croissance (dans un monde fini) » est une traduction française de « The Limits to Growth, The 30-Year Update ». C’est la mise à jour en 2004, 30 ans après, du fameux Rapport Meadows de 1972 qui fut inspiré par Aurelio Peccei, fondateur du Club de Rome, au Groupe Dynamique des Système au sein du MIT qui s’est servi de la ‘Théorie de la Dynamique des Systèmes’ pour analyser les causes et conséquences à long terme de la croissance mondiale. Le Rapport Meadows fut publié en français sous le titre « Halte à la croissance ? ».

2. MIT Massachusetts Institute of Technology, Sloan School: Alison A. Anderson, USA, Erich K.O. Zahn Allemagne, Ilyas Bayar, Turquie, Jay M. Anderson, USA, Farhad Hakimzadeh, Iran, William W. Behrens III, USA, Judith A. Machen, USA, Steffen Harbordt, Allemagne, Peter Milling, Allemagne, Nirmala S. Murthy, Inde, Roger F. Naill, USA, Stephen Schantzis, USA, John A. Seeger, USA, Marilyn Williams, USA.