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jeudi 9 novembre 2017

Nourrir l’Europe en temps de crise

Pablo Servigne vient de ré-éditer son livre (de 2014) en le complétant. Les impacts du changement climatique sur l’agriculture et l’alimentation industrielle sont aujourd'hui directement palpables par le citoyen dans le circuit de distribution alimentaire dont il dépend. En voici quelques extraits choisis :

Le système alimentaire industriel actuel “est conditionné par deux postulats : une disponibilité illimitée en énergies fossiles bon marché et une stabilité du climat.”

“Or, ces deux postulats sont aujourd’hui remis en cause, ce qui permet, au moins, de se poser la question de la viabilité de tels systèmes alimentaires. Il ne s’agit pas uniquement d’un problème d’agriculture : la sécurité alimentaire de l’Europe dépend presque entièrement du système industriel dans son ensemble, c’est-à-dire, pour la voir de manière verticale, toute la filière allant du champ à la décharge en passant par le supermarché et l’assiette.”

“Dans cette optique, il devient assez évident que continuer des politiques de statu quo met en danger la stabilité et la pérennité du système alimentaire industriel, autrement dit, rien moins que la survie de notre civilisation.”

“La FAO estime à 850 millions le nombre d’êtres humains sous-alimentés ; à deux milliards ceux qui souffrent de malnutrition.”

“L’agriculture devra désormais être cadrée par deux principes fondamentaux : restaurer les écosystèmes et se limiter uniquement aux énergies renouvelables.”

“La transition est vue ici comme le passage d’un système industriel dominant à de multiples systèmes très divers, plus autonomes en énergie, plus simples et plus locaux.”

“Mais surtout, la mise en place d’une grande politique de transition rapide, coordonnée, volontariste – et forcément linéaire – ne doit pas faire oublier la création de forces opérationnelles (task forces) travaillant sur des scénarios de catastrophes. Prévoir les deux est un facteur primordial de résilience.”

“L’Europe est quant à elle entièrement dépendante des importations de phosphore, ce qui pose un grave problème de sécurité alimentaire.”

“L’Europe, malgré des technologies qui dissimulent les véritables causes de l’épuisement des ressources, est l’une des régions du monde les plus exposées (par sa densité de population) à des risques de pandémie et de perte de biodiversité causées par des pénuries d’eau ou des pollutions.”

“Mais on ne se relève pas aussi aisément de la fin des énergies fossiles ou d’un climat déstabilisé, de même qu’on ne peut faire revivre les espèces disparues. Les crises économiques sont des problèmes pour lesquels il existe des solutions. Les autres crises ne sont pas des problèmes : ce sont des situations difficiles (predicament en anglais) pour lesquelles il n’y a pas de solutions ; seulement des chemins à emprunter et des mesures à prendre pour s’y adapter.”

“Au niveau politique, en cas de grave récession, la destruction de la biodiversité et le réchauffement climatique sont relégués au dernier rang des priorités (comme on le constate à l’heure actuelle), ce qui aggrave les conséquences désastreuses qu’ils ont déjà sur notre société et notre économie.”

“Il est ainsi très probable que la première étincelle vienne du monde de la finance et de l’économie (probablement causée par un problème énergétique), et déclenche une réaction en chaîne qui se propagera rapidement à toute l’économie mondiale, favorisant des décisions politiques qui iront aggraver les crises des systèmes naturels… ce qui en retour précipitera l’effondrement de l’ensemble du système économique. Or un choc économique déstabilise les systèmes alimentaires industriels, car sans pétrole ni gaz naturel bon marché, il devient très difficile d’irriguer, d’extraire des phosphates, de fabriquer de l’engrais azoté et de distribuer la nourriture rapidement.”

“En général, pour les écosystèmes, les seuils sont atteints à partir de 50 à 90 % de la surface dégradée. Au-delà, ce qu’il reste de l’écosystème se détériore très rapidement et de manière irréversible. L’interaction entre les crises globales augmente donc considérablement les chances de dépasser un seuil critique qui mènera à des changements globaux. Il se peut même que nous soyons très proches d’un seuil critique irréversible à l’échelle de la planète.”

“C’est vers la création de petits systèmes résilients que nous nous dirigerons. Ce ne sera évidemment pas chose facile, mais les sentiers ont déjà été tracés par de nombreuses expériences très concrètes. Elles demeurent cependant assez invisibles aux yeux du grand public et des décideurs politiques. L’hypothèse de ce livre est qu’avec ce nouveau cadre de pensée systémique, couplé à une pensée de la résilience, elles deviendront alors perceptibles et crédibles et, pourquoi pas, désirables. Si ces expériences pionnières deviennent visibles pour tous, alors il est possible d’entrevoir de nouveaux avenirs.”

“Mais tant que les prix de l’énergie resteront artificiellement bas et que les coûts environnementaux ne seront pas pris en compte, la logique économique obligera à préférer ce système globalisé plutôt que la production locale. Le principal facteur déclencheur d’un renversement de tendance est donc très probablement le prix et la disponibilité de l’énergie.”

“En bref, produire, transformer et consommer localement de la nourriture augmente la sécurité alimentaire des régions, créé des emplois locaux et réduit la consommation d’énergies fossiles (et par conséquent l’impact sur le climat). Mais la localisation doit rester un chemin et ne pas devenir un dogme.”

“La vulnérabilité des monocultures aux maladies et aux ravageurs a été largement démontrée. Les systèmes agricoles d’avenir seront donc logiquement tournés vers de la polyculture, combinant plusieurs espèces végétales (associations culturales), des grandes cultures et des arbres (agroforesterie), et même un mélange de cultures, d’arbres et d’animaux (agroécologie et permaculture). Ainsi, les agroécosystèmes gagneront en biodiversité et en hétérogénéité, ce qui diminuera leur vulnérabilité face aux maladies et aux perturbations climatiques.”

“Au début de la chaîne, le système industriel doit s’approvisionner en grandes quantités de matières premières, et à l’autre bout de la chaîne, il rejette beaucoup de déchets. Pour résoudre ces deux problèmes à la fois, il est indispensable d’abandonner une vision linéaire du système et de fermer les cycles : les déchets des uns sont la matière première des autres.”

“Une activité agricole d’avenir est condamnée à être responsable non seulement de la production alimentaire, mais aussi de la restauration des fonctions des écosystèmes.”

“Il existe, en plus du système industriel dominant, trois autres types de systèmes alimentaires alternatifs : les systèmes domestiques (de type familial), les systèmes de proximité (circuits courts), et les systèmes vivriers territoriaux (grandes ceintures autour des villes).”

“Bien évidemment, une politique de résilience implique de miser sur ces trois systèmes alimentaires simultanément, et de les renforcer avant les chocs systémiques !”

“Repenser l’alimentation des villes oblige inévitablement à protéger et à stimuler l’agriculture périurbaine. Pour mettre en place une transition rapide et efficace vers l’après-pétrole, on peut d’ores et déjà imaginer des projets ambitieux autour des villes.”

“L’idée centrale qui doit guider la conception des alternatives émergentes est de veiller à rester fonctionnel même en cas de rupture temporaire d’approvisionnement en énergie (pétrole, électricité, etc.) ou en matériaux.”

“S’il n’y a plus d’importations d’énergie fossile vers l’Europe et si, par conséquent, les principales sources d’énergie deviennent le solaire, la biomasse et l’éolien, il apparaît évident que le rôle de producteur d’énergie reviendra aux zones rurales.”

“Avant la révolution industrielle, les systèmes agricoles et forestiers étaient les principaux producteurs primaires d’énergie, mais depuis la révolution industrielle, ils sont tous devenus des “usines” à convertir le pétrole en nourriture, c’est-à-dire des gouffres énergétiques !”

“Il y a urgence à former très rapidement et à grande échelle des nouveaux paysans, forestiers, éleveurs et maraîchers et à envisager une conversion rapide et planifiée d’une grande partie de la population active vers l’agriculture.”

“Les paysans du futur sont donc déjà nés, mais ils ne savent pas encore qu’ils seront paysans ! Non seulement ils seront nombreux, mais leur travail sera intensif en connaissances. Ils intégreront les dernières découvertes en écologie, ainsi que les innovations agroécologiques, et les combineront à certains savoirs d’antan. Cette grande quête des savoirs que possédaient nos ancêtres, le mouvement de la Transition l’appelle “la grande requalification” – the great reskilling. Il est évidemment indispensable de la démarrer dès aujourd’hui et à grande échelle.”

“Le climat est un paramètre qui va redessiner les paysages et les systèmes alimentaires. Nous avons, malheureusement, très peu de prises sur lui. Il faudra donc augmenter ou restaurer la capacité des agroécosystèmes à “encaisser” des écarts climatiques importants sur une courte période (sécheresses, températures extrêmes, ouragans, inondations, etc.) et à naviguer par temps incertain. S’il y a un exercice d’implémentation des principes de résilience à ne pas manquer, c’est bien celui-là.”

“Maintenir l’actuel système n’est tout simplement pas une option à long terme. Seule la durée de la transition et les stratégies à mettre en place pour effectuer cette transition devraient faire l’objet de débats.”

“Les dernières conclusions du GIEC le confirment, validant ainsi la première partie du présent rapport : nos systèmes alimentaires industriels risquent des ruptures irréversibles et systémiques dans les prochaines années.”

“Nous sommes entrés dans le temps de la construction urgente de systèmes résilients. Cette transition créera un monde plus décentralisé et une multitude très hétérogène d’économies locales bien plus autonomes. Nous allons bien vers une régionalisation de l’Europe. Les chaînes d’approvisionnement seront plus courtes, les productions agricoles plus diversifiées et l’agriculture, qu’elle soit urbaine ou rurale, sera intensive en main-d’œuvre et en connaissances, mais sobre en énergie.”

“Au niveau global, l’important est de ne pas ignorer les catastrophes qui sont en train d’avoir lieu, de mettre en place une transition aux objectifs à moyen terme très forts (2020-2030), et en parallèle de prévoir la possibilité d’une rupture systémique globale. Ceci n’est pas une conclusion isolée, elle fait écho à une multitude de travaux scientifiques récents effectués par des chercheurs de plus en plus inquiets. Son absence dans les médias et dans les débats tient au fait que nous n’aimons pas entendre de mauvaises nouvelles, aussi rationnelles soient-elles.”

“Ainsi, aujourd’hui, l’utopie a changé de camp. Être utopiste consiste à croire que tout peut continuer tel quel. Ce business “as usual” est peut-être désirable et confortable pour certains, mais il n’aura pas lieu. Nous avons la certitude qu’une politique de statu quo mène à une impasse et à des bouleversements qui dépassent l’entendement. Le réalisme, c’est de mettre toute l’énergie qui nous reste dans cette transition rapide et radicale. L’action est l’unique manière que nous ayons de sortir de cette position d’inconfort, elle redonne espoir et apporte quotidiennement des satisfactions qui nous maintiennent optimistes.”

Ce livre est complété par une postface de OLIVIER DE SCHUTTER, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation (2008-2014) :

“Je remercie Pablo Servigne de me fournir l’occasion de dire tout l’intérêt que présente son ouvrage pour orienter la transition de nos systèmes alimentaires afin de sortir de l’impasse actuelle. Le XXe siècle fut celui des économies d’échelle, de la poursuite à tout prix de la compétitivité et de l’efficience et de l’uniformisation des solutions. Notre siècle est celui de la prolifération des initiatives à plus petite échelle, qui favorise la résilience à travers la diversité : Pablo Servigne nous y fait entrer.”

jeudi 13 août 2015

Fini de jouer



Pour maintenir la société en fonctionnement à son niveau actuel dans l’économie globale, il faut des quantités énormes d’énergie. On l’a fait jusqu’ici principalement en brûlant des carburants fossiles qui envoient d’énormes quantités de CO2 dans l’atmosphère.
Le Réchauffement. Si nous continuons à ce rythme, il fera de plus en plus chaud dans les décennies à venir, plus chaud qu’il n’a jamais fait dans les dernières 15 millions d’années.
Pendant le siècle dernier, nous avons chauffé la planète en déversant dans l’air d’énormes quantités de gaz à effet de serre (GES), spécialement le CO2, le méthane CH4, le protoxyde d'azote N2O.


Selon le rythme de rejet de CO2 en plus par an, ce 1er graphique nous montre ce qu’il adviendra après avoir stoppé nos émissions de CO2 à différents niveaux. Il s’éliminera très peu au cours des 2 prochains millénaires. Et nous avons déjà dépassé le niveau de 400 ppm.

Même en stoppant les émissions de CO2, la planète ne peut les digérer que très lentement et jamais totalement, grâce à l’absorption du CO2 par les forêts et des océans principalement.


L’augmentation de température est actuellement si rapide que beaucoup d’espèces vivantes sur Terre ne seront bientôt plus capable de s’y adapter. Dans certains endroits où les gens vivent actuellement il fera trop chaud pour les mammifères – nous y compris – pour survivre à l’extérieur.


Si nous arrêtions brusquement nos émissions de GES, la température supplémentaire du réchauffement ne retomberait pas, mais se réduirait seulement très légèrement après  quelques centaines d’années comme le montre ce 2e graphique. Les courbes correspondent ici à un arrêt des émissions de CO2 aux différents niveaux de concentration indiqués dans le 1er graphique.


Et ce calcul théorique ne tient pas compte des feux de forêts dans le monde. Car il y a une accélération des surfaces forestières perdues chaque année dans le monde par le feu, ce qui prive la planète progressivement d’un outil très important de lutte contre le CO2. Et depuis le grand feu de 1988 dans le Parc Naturel de Yellowstone, on sait que la croissance des jours de sécheresses est propice aux départs de feux de plus en plus fréquents, initiés par la foudre.


Ainsi la concentration des GES ne tombera de moitié qu’après 800 ans pour le CO2, 100 ans pour le protoxyde d'azote N2O, 20 ans pour le méthane CH4.


L’Anthropocène. En moyenne la température à la surface de la Terre avait varié jusqu’ici d’un degré Celsius sur une période de 10.000 ans, en bleu sur ce 3e graphique.

Au rythme actuel, nous nous apprêtons à chauffer encore plus la planète pendant les prochaines décennies. La prévision selon le scénario ‘comme d’habitude’ (business-as-usual) est de 4° à 7°C de réchauffement d’ici la fin du siècle.

À l’échelle des ères géologiques nous avons provoqué un complet décrochage (en rouge).

Ce gros changement climatique, et aussi rapide, ne présage pas de bonnes choses pour les gens : cela signifie la perte de millions de vies, des centaines de millions d’exilés climatiques, des cultures défaillantes, des feux de forêts, la fonte des glaciers, de nouvelles maladies et l’extinction des espèces dont nous avons besoin. Ce ne sont pas des spéculations – nous avons déjà vu le commencement de ces faits, et les prévisions des impacts à venir sont basés sur la science pure qui pointe sur ces risques dans un avenir proche, comme précisés dans de nombreux livres récents(1), et par des milliers d’articles scientifiques et par des rapports globaux tels que ceux du GIEC, de l’Académie des Sciences US, de la Royal Society britannique.


Nous sommes entrés dans l’ère anthropocène, une nouvelle ère géologique provoquée par l’homme, son économie, sa finance débridée, son industrie, sa pollution, ses saccages environnementaux.

La démographie. Les projections même conservatives, indiquent que le monde comptera 2 à 3 milliards de gens en plus en 2050, dont chacun voudra son habitation avec sa propre quantité d’objets de la vie courante.

Dans le délai d’une génération, on sait que la densité moyenne de la population mondiale pour l’ensemble des terrains habitables sur Terre sera à peu près égale à ce qu’elle est en Inde aujourd’hui. Ces 2-3 millions de personnes en plus, serons entassés dans la toute petite partie du sol terrestre qui est disponible pour occupation, ce qui représente en réalité 20% de la surface des terres de la planète, soit ce qui reste après avoir retranché les 40% où nous avons besoin de faire pousser notre nourriture, et les 40% de terrains inhospitalier – barres montagneuses, déserts arides, glaciers – qui ne peuvent recevoir beaucoup de population.

Voyons un peu les conséquences du rythme actuel de productions de nos biens. Par exemple, pour produire nos ordinateurs portables à écran tactile, cela nécessite de creuser pour obtenir des minerais qui après transformation deviendront des éléments comme : yttrium, lanthanum, lithium, praseodymium, europium, gadolinium, terbium, dysprosium, cerium, neodymium, etc. Ce sont les terres-rares ainsi nommées parce qu’il existe peu de mines qui les produisent ou parce qu’elles ne sont pas économiquement viables, et qu’on les trouve dans peu de pays. Aujourd’hui la Chine produit 90% des terres-rares nécessaires pour produire nos téléphones mobiles, etc. mais aussi pour des composants critiques dans les moteurs et les batteries des voitures hybrides et électriques, dans les turbines des éoliennes, et bien d’autres choses.

Le mythe actuel que le seul modèle économique viable est la croissance continue – c’est-à-dire produire et vendre de plus en plus d’objets – est démenti par une baisse continue du taux de croissance du PIB depuis plus de 50 ans dans les pays développés. La seule chose qui est compatible avec notre planète est de maintenir l’économie à un niveau confortable, et constant. Il faudra désormais concevoir des produits dont l’empreinte environnementale du berceau-à-la-tombe est effectivement proche de zéro, et encourager le réemploi et la rénovation des objets déjà disponibles.

Beaucoup d’études ont essayé de déterminer le niveau du bien-être humain optimal, c’est-à-dire, le niveau de prix où l’argent gagné et les objets qu’on peut acheter avec, n’accroit plus substantiel­le­ment le bonheur. Ce niveau est, avec surprise, aussi bas que 12.000 $ de revenu annuel par tête en moyenne mondiale (à partir de 2010). La solution n’est pas d’acheter plus d’objets, mais plus d’expériences comme aller à un concert, faire un voyage, qui sont des expériences qui apportent une joie plus durable.

Au-delà de ce niveau, nous entrons dans le domaine du consumérisme. Tim Jackson professeur de développement durable à l’Université du Surrey, a déjà développé ce sujet.

Les êtres humains, en moyenne mondiale, continuent à faire croître leur population. Au rythme des 10 dernières années, la planète devrait dépasser 27 milliards de personnes en 2100.

En supposant que les conditions économiques continuent à s’améliorer dans des zones en développement ou à population nombreuse comme la Chine, l’Inde et l’Afrique, l’empreinte environnementale moyenne par personne va augmenter de telle sorte que la planète accélèrera encore plus vite vers les seuils dangereux de basculement global que sont le changement climatique, la pollution de l’environnement, la rareté des ressources fossiles et la réduction de la production agricole.

Notre nourriture. Voyons maintenant, la production de nourriture pour ces quelques 9 milliards de personnes en 2050.

La capacité des océans à produire de la nourriture a été impactée par la perte des vies qui peuplent les coraux. En Australie, la pêche et le tourisme dépendent de la grande barrière de corail qui est essentiel pour l’économie nationale. Si les récifs de coraux disparaissent dans le monde entier, outre que cela coûtera cher à l’économie, il en résultera l’extinction d’un quart de toute vie dans les océans, ce qui éliminera 10% des pêcheries mondiales.

La production de maïs tombe en fonction de l’augmentation du nombre des jours de chaleur et de sécheresse ; c’est un impact climatique que nous pouvons déjà voir. Les fermiers du Middle West américain ont vu leur production réduite de 40 à 60% en 2012. C’est aussi le cas en 2015 en Europe où on s’attend à une baisse de 25 à 30% sur le maïs par défaut d’une irrigation optimale dans de nombreuses fermes.

Les régions de culture du riz dans le monde souffriront de la montée du niveau de la mer et de la météo extrême et on s’attend à une baisse de production de 10 à 15% dans les prochaines décennies.
Tous cela au moment où la planète aura 2 milliards de bouches à nourrir en plus. Ce genre d’impacts – feux de forêt, inondations, montée des eaux, défaillance des océans à nous nourrir – ont fait que des gens d’habitude climato-sceptiques se sont mis autour de la table pour prendre note de tous ces phénomènes, grandes multinationales et militaires en tête.

La faim en Afrique n’était pas endémique jusqu’au milieu du XXe siècle, car l’agriculture et le pâturage du bétail semblait bien marcher jusqu’à une série d’années de sécheresse où des millions de personnes affamées quittaient le Sahel et le sud du désert du Sahara. Les prévisions du GIEC et de la Banque Mondiale est que ce genre de situations va augmenter en Afrique. Le rapport du GIEC de 2007 projetait déjà une réduction des productions jusqu’à 50% dans certains pays d’Afrique. Une étude de 2013 de la Banque Mondiale avertissait qu’en 2030 « la sécheresse et la chaleur rendra 40% des terres produisant actuellement du maïs incapable de supporter cette plante, tandis que la montée des températures pourrait provoquer des pertes majeures dans les herbages de la savane, menaçant les moyens d’existence des bergers ». En 2050, selon la région, la part de la population africaine sous-alimentée est prévue de s’accroître de 25 à 90% en comparaison de la situation présente.

En additionnant les terrains de pâturage, plus les terrains agricoles, la proportion de terrains utilisés pour nourrir le bétail est de 75% des terres cultivées. Pour cette raison, réduire la consommation de viande représenterait une aide énorme à résoudre le problème alimentaire : si tout le monde devenait brusquement végétarien, la quantité de calories dans les estomacs s’accroitrait de 50%.  Un bénéfice supplémentaire, qui concerne les rétroactions conduisant aux points de basculement du changement climatique, fait qu’il y aurait moins de vaches, de chèvres et de moutons produisant du gaz méthane en pétant lors de la digestion. Environ 34% des émissions de méthane provient des pets d’animaux de ferme et de leurs déchets.

Il faut combattre le gâchis alimentaire dans les pays développés, qui représente environ 40% de la nourriture que nous achetons. Les gens mangent bien ce qui est dans leur assiette, mais le gâchis vient en amont dans le processus de production. 30 à 50% de la nourriture qui a poussé ou grandi à la ferme n’atteint jamais les gens, parce qu’elle est abimée ou gâchée dans le voyage de la ferme au traitement, au stockage et à la livraison au consommateur. Le circuit court, de distribution locale réduit de beaucoup ce gâchis.

Tout cela ne répond pas au problème posé par le changement climatique sur la fourniture de la nourriture dans le monde. Nous sommes quasiment certains de voir bientôt un monde 2°C plus chaud, et nous pourrions voir un réchauffement de 5°C ou plus d’ici la fin de ce siècle. Ceci signifie qu’il y aura de plus en plus de jours d’été secs et chauds pour notre agriculture.

Selon une étude de Stanford University, les compteurs sont remis à zéro pour l’Europe sur ce que pourrait être la production en 2040 avec +2°C : Baisses de productions du blé de 30%, de l’orge de plus de 20% et du maïs de 10% sans changement des techniques agricoles face au climat. Des baisses quasiment de même ampleur au plan mondial dès que les températures dépassent 30°C.
La surveillance du niveau des eaux de puits et des nappes phréatiques, permet clairement  de dire que les sources d’eau s’assèchent dans le monde entier. Ceci est confirmé par les observations satellites (mission GRACE de la NASA).

L’eau que nous buvons ne représente que 10% de toute l’eau utilisée dans le monde. Pourtant ce qui accélère notre ruée vers un point de basculement mondial c’est  la croissance de la population, l’eau nécessaire pour la production de viande, pour les cultures agricoles et maraichères, pour la production d’énergie, la demande pour la fabrication des biens de consommations et le changement climatique lui-même. Le tout conduit à une crise de l’eau mondiale. Quand l’eau devient rare, un conflit insoluble entre l’agriculture, l’élevage et la production électrique peut se produire. C’est ce qui a produits des émeutes anti-gouvernementales au Pakistan en 2012.

Selon la CNA américaine chargée de parer aux problèmes sécuritaires aux USA, la compétition pour cette ressource limitée entre l’agriculture, l’industrie, les municipalités, et la production d’électricité menace de devenir aiguë dans plusieurs régions du monde. En bas de leurs études la dernière ligne c’est qu’en 2040 le monde sera en face d’une crise de pénurie d’eau, si l’économie continue ‘comme d’habitude’ (business as usual). Actuellement 1,1 milliards de personnes n’ont pas un accès adéquat à l’eau. En 2025 environ 3 milliards de personnes manqueront d’eau.

A côté de ceci, les sècheresses accrues provoquent des problèmes imminents de fonte des glaciers. Un tiers de la population mondiale – Asie Centrale, Amérique Latine, Asie du sud – tient son eau des rivières provenant des glaciers de haute montagne. La réduction des flux provenant des glaciers de l’Himalaya impactera le Brahmapoutre, le Gange, l’Indus, l’Irrawaddy, le Mékong et le Yang Tse, tous alimenté par les glaciers. Ceci impactera plus de 3 milliards de personnes, plus d’un quart de la population mondiale. Ces tensions sur l’eau vont s’accroître dans les prochaines années.

L’avenir modélisé. Au début des années 1970, le Club de Rome – Groupe de réflexion regroupant des scientifiques, des économistes, de hauts fonctionnaires nationaux et internationaux, ainsi que des industriels de 53 pays – demande à des chercheurs du MIT (Massachusetts Institute of Technology) d’étudier l’évolution à long terme du système « Terre » et pour ce faire de le modéliser.

En 1972, Donella Meadows, Dennis Meadows, Jorgen Randers et 14 autres chercheurs mettaient la Théorie de la Dynamique des Systèmes en équations. Cette Théorie provient des travaux de Jay Forrester, professeur au MIT, concepteur du modèle informatique Word3. Ce modèle systémique va paramétrer le monde, en particulier la démographie, les productions industrielles et de services, la nourriture dans le monde, la pollution et l’épuisement des ressources non-renouvelables. Les relations entre tous ces paramètres vont être mises en équations. En introduisant des données réelles dans Word3, on peut simuler le comportement du « système Terre » jusqu’en 2100.

Le 1er scénario en mode ‘comme d’habitude’ (business as usual) montre le futur effondrement systémique de notre planète entre 2010 et 2030. L’économie industrielle et de services  décroche entre 2015 et 2025 plus rapidement que jadis le rythme exponentiel de leur croissance. La population mondiale commence à décroître inexorablement à partir de 2030. Les ressources non-renouvelables de la planète tombent dès 2030 à 25% de ce qu’elles étaient avant la période industrielle.

Des solutions ont été modélisées dans de nombreux scénarios en forçant certains paramètres. Les dernières solutions viables ont été publiées en 2004 dans le livre « Limits to Growth, The 30-Years Update » qui n’est paru en français qu’en 2012 sous le titre « Les limites à la croissance (dans un monde fini) ». Dennis Meadows s’est exprimé récemment à ce sujet en Europe. Il ne croit plus à la possibilité d’un scénario de « secours ». La chose est devenue trop importante pour la laisser sur la place publique – comme l’ont fait Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans leur livre(1) – et les appareils de sécurité d’état semblent avoir poussé Barack Obama à s’en préoccuper récemment.

Les experts des problèmes de sécurité d’état utilisent le terme de ‘multiplication des menaces’ pour désigner les impacts combinés du changement climatique, de la croissance de la population, des déplacements d’exilés climatiques, de diminution des ressources (fossiles, minerais) et de leur accès. De cette association de menaces combinées résulte un problème mondial beaucoup plus grand qu’il n’y parait et qu’il nous faut anticiper à partir de chacun de ces impacts. L’autre terme utilisé dans ce contexte est ‘point de basculement’ (tipping point), où il faut entendre le basculement du monde dans une nouvelle normalité. C’est vrai en particulier pour le nombre et l’intensité des conflits militaires auxquels il faut s’attendre à tout moment – c’est-à-dire les guerres.

De ces sombres prédictions surgit cette question : Pouvons-nous faire quelque chose pour éviter d’accroître les désastres liés au climat ? La réponse est simple : nous savons exactement comment faire pour éviter des problèmes plus importants et cela depuis plus de 30 ans : c’est de convertir nos systèmes d’énergie depuis le présent système complètement dépendant des carburants fossiles crachant des GES, vers un système essentiellement neutre en GES. En fait, la technologie pour ce faire existe largement, et aurait pu être déployée de façon appropriée en trois décennies si des incitations économiques utiles avaient été mises en place par les politiques. Pas sûr que cela suffise encore…

De quel avenir va-t-on pouvoir discuter en décembre 2015 à Paris ?

(1)
Comment tout peut s’effondrer, Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, 2015. Par Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Editions du seuil.
End Game, Tipping Point for Planet Earth? 2015. Par Anthony D. Barnosky, professeur à l’Université de Californie à Berkley, et Elizabeth A. Hadly, professeur à l’Université Standford, aux éditions William Collins, London.
Requiem pour l’espèce humaine. Par Clive Hamilton, professeur à l’Université Charles Sturt en Australie, aux Presses de la Fondation des Sciences Politiques, 2013.

jeudi 26 juillet 2012

Les limites à la croissance

Ceux d’entre nous qui dans les années 70, s’étaient intéressés aux travaux du Club de Rome sur la croissance, n’ont pas pu manquer la parution en français de la mise à jour du fameux rapport Meadows : « Les limites à la croissance1 ».

Il ya donc 40 ans en 1972, Donella Meadows, Dennis Meadows, Jorgen Randers et 14 autres chercheurs du MIT2 mettaient la Théorie de la Dynamique des Systèmes en équations pour modéliser la croissance. La Théorie de la Dynamique des Systèmes provient des travaux de Jay Forrester, professeur au MIT, concepteur du modèle informatique Word3. La version initiale de Word3 a été adaptée en Word3-91 et les résultats furent publiés sous « Beyond the Limits » en 1992. Une adaptation nouvelle en Word3-03 a engendré les résultats publiés en 2004, dont nous lisons enfin la traduction sous « Les limites à la croissance (dans un monde fini) » en 2012. 

D’après les auteurs, le scénario initial de 1972 se confirme actuellement, bien qu’il soit basé sur des données de l’époque qui décrivent de façon réaliste la seconde moitié du 20ème siècle. On y constate un décrochage avant 2020 de la production industrielle, de la production agricole (nourriture disponible),  de l’espérance de vie, du bien-être humain et des ressources non renouvelables de la planète. 

Après avoir tenté divers scénarios, les auteurs décrivent, dans un scénario n° 9, une planète qui aurait cherché, à partir de 2002, à stabiliser sa population et sa production industrielle par habitant, et qui investit dans la lutte antipollution, dans la préservation des ressources non renouvelables et dans l’agriculture. 

Cet ouvrage est à recommander comme livre de référence pour nos politiciens qui, avant de parler de « relancer » la croissance, devraient se poser les questions suivantes : À quoi sert la croissance ? À qui bénéficie-t-elle ? Combien de temps durera-t-elle ? Cette croissance peut-elle être supportée par la planète ? Ce type de croissance sert-il des objectifs sociétaux et favorise-t-il la durabilité ? 

Une société durable réviserait les modes de répartition actuels entre pauvres et riches pour qu’ils soient plus équitables. Maintenir les pauvres dans le dénuement entretient le germe de la révolte et de la guerre, et empêche de stabiliser la démographie durablement au niveau mondial. Une société durable cherchera à répondre aux besoins de tous les êtres humains. Pourvu que ceux-ci admettent que le potentiel de croissance qu’il nous reste soit réparti entre tous, et à ceux qui en ont le plus besoin. Une société durable ne peut pas se bâtir sur le découragement des plus faibles, sur le chômage, car ce sont les résultats de l’interruption de croissance de l’économie actuelle. On peut arrêter la voiture de l’économie avec ses freins, de façon durable, ou avec un mur de pierre, à la façon de la récession actuelle. 

L’économie mondiale est en dépassement de toutes les limites physiques de la planète, ce qui amène son basculement inattendu, rapide, incompatible pour y faire face avec le temps d’adaptation nécessaire aux individus et aux entreprises. Une approche volontariste vers la durabilité nécessite une préparation lente pour que chacun trouve sa place dans une nouvelle économie durable.
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1.  « Les Limites à la Croissance (dans un monde fini) » est une traduction française de « The Limits to Growth, The 30-Year Update ». C’est la mise à jour en 2004, 30 ans après, du fameux Rapport Meadows de 1972 qui fut inspiré par Aurelio Peccei, fondateur du Club de Rome, au Groupe Dynamique des Système au sein du MIT qui s’est servi de la ‘Théorie de la Dynamique des Systèmes’ pour analyser les causes et conséquences à long terme de la croissance mondiale. Le Rapport Meadows fut publié en français sous le titre « Halte à la croissance ? ».

2. MIT Massachusetts Institute of Technology, Sloan School: Alison A. Anderson, USA, Erich K.O. Zahn Allemagne, Ilyas Bayar, Turquie, Jay M. Anderson, USA, Farhad Hakimzadeh, Iran, William W. Behrens III, USA, Judith A. Machen, USA, Steffen Harbordt, Allemagne, Peter Milling, Allemagne, Nirmala S. Murthy, Inde, Roger F. Naill, USA, Stephen Schantzis, USA, John A. Seeger, USA, Marilyn Williams, USA.