Ainsi la concentration des GES ne tombera de moitié qu’après
800 ans pour le CO2, 100 ans pour le protoxyde d'azote N2O,
20 ans pour le méthane CH4.
L’Anthropocène.
En moyenne la température à la surface de la Terre avait varié jusqu’ici d’un
degré Celsius sur une période de 10.000 ans, en bleu sur ce 3e
graphique.
Au rythme actuel, nous nous apprêtons à chauffer encore plus
la planète pendant les prochaines décennies. La prévision selon le scénario
‘comme d’habitude’ (business-as-usual) est de 4° à 7°C de réchauffement d’ici
la fin du siècle.
À l’échelle des ères géologiques nous avons provoqué un
complet décrochage (en rouge).
Ce gros changement climatique, et aussi rapide, ne présage
pas de bonnes choses pour les gens : cela signifie la perte de millions de
vies, des centaines de millions d’exilés climatiques, des cultures
défaillantes, des feux de forêts, la fonte des glaciers, de nouvelles maladies
et l’extinction des espèces dont nous avons besoin. Ce ne sont pas des
spéculations – nous avons déjà vu le commencement de ces faits, et les
prévisions des impacts à venir sont basés sur la science pure qui pointe sur
ces risques dans un avenir proche, comme précisés dans de nombreux livres
récents(1), et par des milliers d’articles scientifiques et par des
rapports globaux tels que ceux du GIEC, de l’Académie des Sciences US, de la
Royal Society britannique.
Nous sommes entrés dans l’ère anthropocène, une nouvelle ère
géologique provoquée par l’homme, son économie, sa finance débridée, son
industrie, sa pollution, ses saccages environnementaux.
La
démographie. Les projections même conservatives, indiquent que le monde
comptera 2 à 3 milliards de gens en plus en 2050, dont chacun voudra son
habitation avec sa propre quantité d’objets de la vie courante.
Dans le délai d’une génération, on sait que la densité moyenne
de la population mondiale pour l’ensemble des terrains habitables sur Terre
sera à peu près égale à ce qu’elle est en Inde aujourd’hui. Ces 2-3 millions de
personnes en plus, serons entassés dans la toute petite partie du sol terrestre
qui est disponible pour occupation, ce qui représente en réalité 20% de la
surface des terres de la planète, soit ce qui reste après avoir retranché les
40% où nous avons besoin de faire pousser notre nourriture, et les 40% de
terrains inhospitalier – barres montagneuses, déserts arides, glaciers – qui ne
peuvent recevoir beaucoup de population.
Voyons un peu les conséquences du rythme actuel de
productions de nos biens. Par exemple, pour produire nos ordinateurs portables
à écran tactile, cela nécessite de creuser pour obtenir des minerais qui après
transformation deviendront des éléments comme : yttrium, lanthanum, lithium,
praseodymium, europium, gadolinium, terbium, dysprosium, cerium, neodymium,
etc. Ce sont les terres-rares ainsi nommées parce qu’il existe peu de mines qui
les produisent ou parce qu’elles ne sont pas économiquement viables, et qu’on
les trouve dans peu de pays. Aujourd’hui la Chine produit 90% des terres-rares
nécessaires pour produire nos téléphones mobiles, etc. mais aussi pour des
composants critiques dans les moteurs et les batteries des voitures hybrides et
électriques, dans les turbines des éoliennes, et bien d’autres choses.
Le mythe actuel que le seul modèle économique viable est la
croissance continue – c’est-à-dire produire et vendre de plus en plus d’objets
– est démenti par une baisse continue du taux de croissance du PIB depuis plus
de 50 ans dans les pays développés. La seule chose qui est compatible avec
notre planète est de maintenir l’économie à un niveau confortable, et constant.
Il faudra désormais concevoir des produits dont l’empreinte environnementale du
berceau-à-la-tombe est effectivement proche de zéro, et encourager le réemploi
et la rénovation des objets déjà disponibles.
Beaucoup d’études ont essayé de déterminer le niveau du
bien-être humain optimal, c’est-à-dire, le niveau de prix où l’argent gagné et
les objets qu’on peut acheter avec, n’accroit plus substantiellement le
bonheur. Ce niveau est, avec surprise, aussi bas que 12.000 $ de revenu annuel
par tête en moyenne mondiale (à partir de 2010). La solution n’est pas
d’acheter plus d’objets, mais plus d’expériences comme aller à un concert,
faire un voyage, qui sont des expériences qui apportent une joie plus durable.
Au-delà de ce niveau, nous entrons dans le domaine du
consumérisme. Tim Jackson professeur de développement
durable à l’Université du Surrey, a déjà développé ce sujet.
Les êtres humains, en moyenne mondiale, continuent à faire
croître leur population. Au rythme des 10 dernières années, la planète devrait
dépasser 27 milliards de personnes en 2100.
En supposant que les conditions économiques continuent à
s’améliorer dans des zones en développement ou à population nombreuse comme la
Chine, l’Inde et l’Afrique, l’empreinte environnementale moyenne par personne
va augmenter de telle sorte que la planète accélèrera encore plus vite vers les
seuils dangereux de basculement global que sont le changement climatique, la
pollution de l’environnement, la rareté des ressources fossiles et la réduction
de la production agricole.
Notre nourriture. Voyons maintenant, la production de nourriture
pour ces quelques 9 milliards de personnes en 2050.
La capacité des océans à produire de la nourriture a été
impactée par la perte des vies qui peuplent les coraux. En Australie, la pêche
et le tourisme dépendent de la grande barrière de corail qui est essentiel pour
l’économie nationale. Si les récifs de coraux disparaissent dans le monde
entier, outre que cela coûtera cher à l’économie, il en résultera l’extinction
d’un quart de toute vie dans les océans, ce qui éliminera 10% des pêcheries
mondiales.
La production de maïs tombe en fonction de l’augmentation du
nombre des jours de chaleur et de sécheresse ; c’est un impact climatique
que nous pouvons déjà voir. Les fermiers du Middle West américain ont vu leur
production réduite de 40 à 60% en 2012. C’est aussi le cas en 2015 en Europe où
on s’attend à une baisse de 25 à 30% sur le maïs par défaut d’une irrigation
optimale dans de nombreuses fermes.
Les régions de culture du riz dans le monde souffriront de
la montée du niveau de la mer et de la météo extrême et on s’attend à une
baisse de production de 10 à 15% dans les prochaines décennies.
Tous cela au moment où la planète aura 2 milliards de
bouches à nourrir en plus. Ce genre d’impacts – feux de forêt, inondations,
montée des eaux, défaillance des océans à nous nourrir – ont fait que des gens
d’habitude climato-sceptiques se sont mis autour de la table pour prendre note
de tous ces phénomènes, grandes multinationales et militaires en tête.
La faim en Afrique n’était pas endémique jusqu’au milieu du
XXe siècle, car l’agriculture et le pâturage du bétail semblait bien marcher
jusqu’à une série d’années de sécheresse où des millions de personnes affamées
quittaient le Sahel et le sud du désert du Sahara. Les prévisions du GIEC et de
la Banque Mondiale est que ce genre de situations va augmenter en Afrique. Le
rapport du GIEC de 2007 projetait déjà une réduction des productions jusqu’à
50% dans certains pays d’Afrique. Une étude de 2013 de la Banque Mondiale
avertissait qu’en 2030 « la sécheresse et la chaleur rendra 40% des terres
produisant actuellement du maïs incapable de supporter cette plante, tandis que
la montée des températures pourrait provoquer des pertes majeures dans les
herbages de la savane, menaçant les moyens d’existence des bergers ». En
2050, selon la région, la part de la population africaine sous-alimentée est
prévue de s’accroître de 25 à 90% en comparaison de la situation présente.
En additionnant les terrains de pâturage, plus les terrains
agricoles, la proportion de terrains utilisés pour nourrir le bétail est de 75%
des terres cultivées. Pour cette raison, réduire la consommation de viande
représenterait une aide énorme à résoudre le problème alimentaire : si
tout le monde devenait brusquement végétarien, la quantité de calories dans les
estomacs s’accroitrait de 50%. Un
bénéfice supplémentaire, qui concerne les rétroactions conduisant aux points de
basculement du changement climatique, fait qu’il y aurait moins de vaches, de
chèvres et de moutons produisant du gaz méthane en pétant lors de la digestion.
Environ 34% des émissions de méthane provient des pets d’animaux de ferme et de
leurs déchets.
Il faut combattre le gâchis alimentaire dans les pays
développés, qui représente environ 40% de la nourriture que nous achetons. Les
gens mangent bien ce qui est dans leur assiette, mais le gâchis vient en amont
dans le processus de production. 30 à 50% de la nourriture qui a poussé ou grandi
à la ferme n’atteint jamais les gens, parce qu’elle est abimée ou gâchée dans
le voyage de la ferme au traitement, au stockage et à la livraison au
consommateur. Le circuit court, de distribution locale réduit de beaucoup ce
gâchis.
Tout cela ne répond pas au problème posé par le changement
climatique sur la fourniture de la nourriture dans le monde. Nous sommes
quasiment certains de voir bientôt un monde 2°C plus chaud, et nous pourrions
voir un réchauffement de 5°C ou plus d’ici la fin de ce siècle. Ceci signifie
qu’il y aura de plus en plus de jours d’été secs et chauds pour notre
agriculture.
Selon une étude de Stanford University, les compteurs sont
remis à zéro pour l’Europe sur ce que pourrait être la production en 2040 avec
+2°C : Baisses de productions du blé de 30%, de l’orge de plus de 20% et
du maïs de 10% sans changement des techniques agricoles face au climat. Des baisses
quasiment de même ampleur au plan mondial dès que les températures dépassent
30°C.
La surveillance du niveau des eaux de puits et des nappes
phréatiques, permet clairement de dire
que les sources d’eau s’assèchent dans le monde entier. Ceci est confirmé par
les observations satellites (mission GRACE de la NASA).
L’eau
que nous buvons ne représente que 10% de toute l’eau utilisée dans le monde.
Pourtant ce qui accélère notre ruée vers un point de basculement mondial
c’est la croissance de la population,
l’eau nécessaire pour la production de viande, pour les cultures agricoles et
maraichères, pour la production d’énergie, la demande pour la fabrication des
biens de consommations et le changement climatique lui-même. Le tout conduit à
une crise de l’eau mondiale. Quand l’eau devient rare, un conflit insoluble
entre l’agriculture, l’élevage et la production électrique peut se produire.
C’est ce qui a produits des émeutes anti-gouvernementales au Pakistan en 2012.
Selon la CNA américaine chargée de parer aux problèmes
sécuritaires aux USA, la compétition pour cette ressource limitée entre
l’agriculture, l’industrie, les municipalités, et la production d’électricité
menace de devenir aiguë dans plusieurs régions du monde. En bas de leurs études
la dernière ligne c’est qu’en 2040 le monde sera en face d’une crise de pénurie
d’eau, si l’économie continue ‘comme d’habitude’ (business as usual).
Actuellement 1,1 milliards de personnes n’ont pas un accès adéquat à l’eau. En
2025 environ 3 milliards de personnes manqueront d’eau.
A côté de ceci, les sècheresses accrues provoquent des
problèmes imminents de fonte des glaciers. Un tiers de la population mondiale –
Asie Centrale, Amérique Latine, Asie du sud – tient son eau des rivières
provenant des glaciers de haute montagne. La réduction des flux provenant des
glaciers de l’Himalaya impactera le Brahmapoutre, le Gange, l’Indus,
l’Irrawaddy, le Mékong et le Yang Tse, tous alimenté par les glaciers. Ceci impactera
plus de 3 milliards de personnes, plus d’un quart de la population mondiale. Ces
tensions sur l’eau vont s’accroître dans les prochaines années.
L’avenir
modélisé. Au début des années 1970, le Club de Rome – Groupe de
réflexion regroupant des scientifiques, des économistes, de hauts fonctionnaires
nationaux et internationaux, ainsi que des industriels de 53 pays – demande à
des chercheurs du MIT (Massachusetts Institute of Technology) d’étudier l’évolution
à long terme du système « Terre » et pour ce faire de le modéliser.
En 1972, Donella Meadows, Dennis Meadows, Jorgen Randers et
14 autres chercheurs mettaient la Théorie de la Dynamique des Systèmes en
équations. Cette Théorie provient des travaux de Jay Forrester, professeur au
MIT, concepteur du modèle informatique Word3. Ce modèle systémique va
paramétrer le monde, en particulier la démographie, les productions
industrielles et de services, la nourriture dans le monde, la pollution et l’épuisement
des ressources non-renouvelables. Les relations entre tous ces paramètres vont
être mises en équations. En introduisant des données réelles dans Word3, on
peut simuler le comportement du « système Terre » jusqu’en 2100.
Le 1er scénario en mode ‘comme d’habitude’
(business as usual) montre le futur effondrement systémique de notre planète
entre 2010 et 2030. L’économie industrielle et de services décroche entre 2015 et 2025 plus rapidement
que jadis le rythme exponentiel de leur croissance. La population mondiale
commence à décroître inexorablement à partir de 2030. Les ressources
non-renouvelables de la planète tombent dès 2030 à 25% de ce qu’elles étaient avant
la période industrielle.
Des solutions ont été modélisées dans de nombreux scénarios
en forçant certains paramètres. Les dernières solutions viables ont été publiées
en 2004 dans le livre « Limits to Growth, The 30-Years Update » qui n’est
paru en français qu’en 2012 sous le titre « Les limites à la croissance
(dans un monde fini) ». Dennis Meadows s’est exprimé récemment à ce sujet
en Europe. Il ne croit plus à la possibilité d’un scénario de « secours ».
La chose est devenue trop importante pour la laisser sur la place publique –
comme l’ont fait Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans leur livre
(1)
– et les appareils de sécurité d’état semblent avoir poussé Barack Obama à s’en
préoccuper récemment.
Les experts des problèmes de sécurité d’état utilisent le
terme de ‘multiplication des menaces’ pour désigner les impacts combinés du
changement climatique, de la croissance de la population, des déplacements
d’exilés climatiques, de diminution des ressources (fossiles, minerais) et de
leur accès. De cette association de menaces combinées résulte un problème
mondial beaucoup plus grand qu’il n’y parait et qu’il nous faut anticiper à
partir de chacun de ces impacts. L’autre terme utilisé dans ce contexte est
‘point de basculement’ (tipping point), où il faut entendre le basculement du
monde dans une nouvelle normalité. C’est vrai en particulier pour le nombre et
l’intensité des conflits militaires auxquels il faut s’attendre à tout moment –
c’est-à-dire les guerres.
De ces sombres prédictions surgit cette question :
Pouvons-nous faire quelque chose pour éviter d’accroître les désastres liés au
climat ? La réponse est simple : nous savons exactement comment faire
pour éviter des problèmes plus importants et cela depuis plus de 30 ans : c’est
de convertir nos systèmes d’énergie depuis le présent système complètement
dépendant des carburants fossiles crachant des GES, vers un système
essentiellement neutre en GES. En fait, la technologie pour ce faire existe
largement, et aurait pu être déployée de façon appropriée en trois décennies si
des incitations économiques utiles avaient été mises en place par les
politiques. Pas sûr que cela suffise encore…
De quel avenir va-t-on pouvoir discuter en décembre 2015 à
Paris ?
(1)
Comment tout peut s’effondrer, Petit manuel de collapsologie à l’usage
des générations présentes, 2015. Par Pablo Servigne et Raphaël Stevens,
Editions du seuil.
End
Game, Tipping Point for Planet Earth? 2015. Par Anthony D. Barnosky,
professeur à l’Université de Californie à Berkley, et Elizabeth A. Hadly,
professeur à l’Université Standford, aux éditions William Collins, London.
Requiem pour l’espèce humaine. Par Clive Hamilton, professeur à l’Université
Charles Sturt en Australie, aux Presses de la Fondation des Sciences
Politiques, 2013.