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jeudi 13 août 2015

Fini de jouer



Pour maintenir la société en fonctionnement à son niveau actuel dans l’économie globale, il faut des quantités énormes d’énergie. On l’a fait jusqu’ici principalement en brûlant des carburants fossiles qui envoient d’énormes quantités de CO2 dans l’atmosphère.
Le Réchauffement. Si nous continuons à ce rythme, il fera de plus en plus chaud dans les décennies à venir, plus chaud qu’il n’a jamais fait dans les dernières 15 millions d’années.
Pendant le siècle dernier, nous avons chauffé la planète en déversant dans l’air d’énormes quantités de gaz à effet de serre (GES), spécialement le CO2, le méthane CH4, le protoxyde d'azote N2O.


Selon le rythme de rejet de CO2 en plus par an, ce 1er graphique nous montre ce qu’il adviendra après avoir stoppé nos émissions de CO2 à différents niveaux. Il s’éliminera très peu au cours des 2 prochains millénaires. Et nous avons déjà dépassé le niveau de 400 ppm.

Même en stoppant les émissions de CO2, la planète ne peut les digérer que très lentement et jamais totalement, grâce à l’absorption du CO2 par les forêts et des océans principalement.


L’augmentation de température est actuellement si rapide que beaucoup d’espèces vivantes sur Terre ne seront bientôt plus capable de s’y adapter. Dans certains endroits où les gens vivent actuellement il fera trop chaud pour les mammifères – nous y compris – pour survivre à l’extérieur.


Si nous arrêtions brusquement nos émissions de GES, la température supplémentaire du réchauffement ne retomberait pas, mais se réduirait seulement très légèrement après  quelques centaines d’années comme le montre ce 2e graphique. Les courbes correspondent ici à un arrêt des émissions de CO2 aux différents niveaux de concentration indiqués dans le 1er graphique.


Et ce calcul théorique ne tient pas compte des feux de forêts dans le monde. Car il y a une accélération des surfaces forestières perdues chaque année dans le monde par le feu, ce qui prive la planète progressivement d’un outil très important de lutte contre le CO2. Et depuis le grand feu de 1988 dans le Parc Naturel de Yellowstone, on sait que la croissance des jours de sécheresses est propice aux départs de feux de plus en plus fréquents, initiés par la foudre.


Ainsi la concentration des GES ne tombera de moitié qu’après 800 ans pour le CO2, 100 ans pour le protoxyde d'azote N2O, 20 ans pour le méthane CH4.


L’Anthropocène. En moyenne la température à la surface de la Terre avait varié jusqu’ici d’un degré Celsius sur une période de 10.000 ans, en bleu sur ce 3e graphique.

Au rythme actuel, nous nous apprêtons à chauffer encore plus la planète pendant les prochaines décennies. La prévision selon le scénario ‘comme d’habitude’ (business-as-usual) est de 4° à 7°C de réchauffement d’ici la fin du siècle.

À l’échelle des ères géologiques nous avons provoqué un complet décrochage (en rouge).

Ce gros changement climatique, et aussi rapide, ne présage pas de bonnes choses pour les gens : cela signifie la perte de millions de vies, des centaines de millions d’exilés climatiques, des cultures défaillantes, des feux de forêts, la fonte des glaciers, de nouvelles maladies et l’extinction des espèces dont nous avons besoin. Ce ne sont pas des spéculations – nous avons déjà vu le commencement de ces faits, et les prévisions des impacts à venir sont basés sur la science pure qui pointe sur ces risques dans un avenir proche, comme précisés dans de nombreux livres récents(1), et par des milliers d’articles scientifiques et par des rapports globaux tels que ceux du GIEC, de l’Académie des Sciences US, de la Royal Society britannique.


Nous sommes entrés dans l’ère anthropocène, une nouvelle ère géologique provoquée par l’homme, son économie, sa finance débridée, son industrie, sa pollution, ses saccages environnementaux.

La démographie. Les projections même conservatives, indiquent que le monde comptera 2 à 3 milliards de gens en plus en 2050, dont chacun voudra son habitation avec sa propre quantité d’objets de la vie courante.

Dans le délai d’une génération, on sait que la densité moyenne de la population mondiale pour l’ensemble des terrains habitables sur Terre sera à peu près égale à ce qu’elle est en Inde aujourd’hui. Ces 2-3 millions de personnes en plus, serons entassés dans la toute petite partie du sol terrestre qui est disponible pour occupation, ce qui représente en réalité 20% de la surface des terres de la planète, soit ce qui reste après avoir retranché les 40% où nous avons besoin de faire pousser notre nourriture, et les 40% de terrains inhospitalier – barres montagneuses, déserts arides, glaciers – qui ne peuvent recevoir beaucoup de population.

Voyons un peu les conséquences du rythme actuel de productions de nos biens. Par exemple, pour produire nos ordinateurs portables à écran tactile, cela nécessite de creuser pour obtenir des minerais qui après transformation deviendront des éléments comme : yttrium, lanthanum, lithium, praseodymium, europium, gadolinium, terbium, dysprosium, cerium, neodymium, etc. Ce sont les terres-rares ainsi nommées parce qu’il existe peu de mines qui les produisent ou parce qu’elles ne sont pas économiquement viables, et qu’on les trouve dans peu de pays. Aujourd’hui la Chine produit 90% des terres-rares nécessaires pour produire nos téléphones mobiles, etc. mais aussi pour des composants critiques dans les moteurs et les batteries des voitures hybrides et électriques, dans les turbines des éoliennes, et bien d’autres choses.

Le mythe actuel que le seul modèle économique viable est la croissance continue – c’est-à-dire produire et vendre de plus en plus d’objets – est démenti par une baisse continue du taux de croissance du PIB depuis plus de 50 ans dans les pays développés. La seule chose qui est compatible avec notre planète est de maintenir l’économie à un niveau confortable, et constant. Il faudra désormais concevoir des produits dont l’empreinte environnementale du berceau-à-la-tombe est effectivement proche de zéro, et encourager le réemploi et la rénovation des objets déjà disponibles.

Beaucoup d’études ont essayé de déterminer le niveau du bien-être humain optimal, c’est-à-dire, le niveau de prix où l’argent gagné et les objets qu’on peut acheter avec, n’accroit plus substantiel­le­ment le bonheur. Ce niveau est, avec surprise, aussi bas que 12.000 $ de revenu annuel par tête en moyenne mondiale (à partir de 2010). La solution n’est pas d’acheter plus d’objets, mais plus d’expériences comme aller à un concert, faire un voyage, qui sont des expériences qui apportent une joie plus durable.

Au-delà de ce niveau, nous entrons dans le domaine du consumérisme. Tim Jackson professeur de développement durable à l’Université du Surrey, a déjà développé ce sujet.

Les êtres humains, en moyenne mondiale, continuent à faire croître leur population. Au rythme des 10 dernières années, la planète devrait dépasser 27 milliards de personnes en 2100.

En supposant que les conditions économiques continuent à s’améliorer dans des zones en développement ou à population nombreuse comme la Chine, l’Inde et l’Afrique, l’empreinte environnementale moyenne par personne va augmenter de telle sorte que la planète accélèrera encore plus vite vers les seuils dangereux de basculement global que sont le changement climatique, la pollution de l’environnement, la rareté des ressources fossiles et la réduction de la production agricole.

Notre nourriture. Voyons maintenant, la production de nourriture pour ces quelques 9 milliards de personnes en 2050.

La capacité des océans à produire de la nourriture a été impactée par la perte des vies qui peuplent les coraux. En Australie, la pêche et le tourisme dépendent de la grande barrière de corail qui est essentiel pour l’économie nationale. Si les récifs de coraux disparaissent dans le monde entier, outre que cela coûtera cher à l’économie, il en résultera l’extinction d’un quart de toute vie dans les océans, ce qui éliminera 10% des pêcheries mondiales.

La production de maïs tombe en fonction de l’augmentation du nombre des jours de chaleur et de sécheresse ; c’est un impact climatique que nous pouvons déjà voir. Les fermiers du Middle West américain ont vu leur production réduite de 40 à 60% en 2012. C’est aussi le cas en 2015 en Europe où on s’attend à une baisse de 25 à 30% sur le maïs par défaut d’une irrigation optimale dans de nombreuses fermes.

Les régions de culture du riz dans le monde souffriront de la montée du niveau de la mer et de la météo extrême et on s’attend à une baisse de production de 10 à 15% dans les prochaines décennies.
Tous cela au moment où la planète aura 2 milliards de bouches à nourrir en plus. Ce genre d’impacts – feux de forêt, inondations, montée des eaux, défaillance des océans à nous nourrir – ont fait que des gens d’habitude climato-sceptiques se sont mis autour de la table pour prendre note de tous ces phénomènes, grandes multinationales et militaires en tête.

La faim en Afrique n’était pas endémique jusqu’au milieu du XXe siècle, car l’agriculture et le pâturage du bétail semblait bien marcher jusqu’à une série d’années de sécheresse où des millions de personnes affamées quittaient le Sahel et le sud du désert du Sahara. Les prévisions du GIEC et de la Banque Mondiale est que ce genre de situations va augmenter en Afrique. Le rapport du GIEC de 2007 projetait déjà une réduction des productions jusqu’à 50% dans certains pays d’Afrique. Une étude de 2013 de la Banque Mondiale avertissait qu’en 2030 « la sécheresse et la chaleur rendra 40% des terres produisant actuellement du maïs incapable de supporter cette plante, tandis que la montée des températures pourrait provoquer des pertes majeures dans les herbages de la savane, menaçant les moyens d’existence des bergers ». En 2050, selon la région, la part de la population africaine sous-alimentée est prévue de s’accroître de 25 à 90% en comparaison de la situation présente.

En additionnant les terrains de pâturage, plus les terrains agricoles, la proportion de terrains utilisés pour nourrir le bétail est de 75% des terres cultivées. Pour cette raison, réduire la consommation de viande représenterait une aide énorme à résoudre le problème alimentaire : si tout le monde devenait brusquement végétarien, la quantité de calories dans les estomacs s’accroitrait de 50%.  Un bénéfice supplémentaire, qui concerne les rétroactions conduisant aux points de basculement du changement climatique, fait qu’il y aurait moins de vaches, de chèvres et de moutons produisant du gaz méthane en pétant lors de la digestion. Environ 34% des émissions de méthane provient des pets d’animaux de ferme et de leurs déchets.

Il faut combattre le gâchis alimentaire dans les pays développés, qui représente environ 40% de la nourriture que nous achetons. Les gens mangent bien ce qui est dans leur assiette, mais le gâchis vient en amont dans le processus de production. 30 à 50% de la nourriture qui a poussé ou grandi à la ferme n’atteint jamais les gens, parce qu’elle est abimée ou gâchée dans le voyage de la ferme au traitement, au stockage et à la livraison au consommateur. Le circuit court, de distribution locale réduit de beaucoup ce gâchis.

Tout cela ne répond pas au problème posé par le changement climatique sur la fourniture de la nourriture dans le monde. Nous sommes quasiment certains de voir bientôt un monde 2°C plus chaud, et nous pourrions voir un réchauffement de 5°C ou plus d’ici la fin de ce siècle. Ceci signifie qu’il y aura de plus en plus de jours d’été secs et chauds pour notre agriculture.

Selon une étude de Stanford University, les compteurs sont remis à zéro pour l’Europe sur ce que pourrait être la production en 2040 avec +2°C : Baisses de productions du blé de 30%, de l’orge de plus de 20% et du maïs de 10% sans changement des techniques agricoles face au climat. Des baisses quasiment de même ampleur au plan mondial dès que les températures dépassent 30°C.
La surveillance du niveau des eaux de puits et des nappes phréatiques, permet clairement  de dire que les sources d’eau s’assèchent dans le monde entier. Ceci est confirmé par les observations satellites (mission GRACE de la NASA).

L’eau que nous buvons ne représente que 10% de toute l’eau utilisée dans le monde. Pourtant ce qui accélère notre ruée vers un point de basculement mondial c’est  la croissance de la population, l’eau nécessaire pour la production de viande, pour les cultures agricoles et maraichères, pour la production d’énergie, la demande pour la fabrication des biens de consommations et le changement climatique lui-même. Le tout conduit à une crise de l’eau mondiale. Quand l’eau devient rare, un conflit insoluble entre l’agriculture, l’élevage et la production électrique peut se produire. C’est ce qui a produits des émeutes anti-gouvernementales au Pakistan en 2012.

Selon la CNA américaine chargée de parer aux problèmes sécuritaires aux USA, la compétition pour cette ressource limitée entre l’agriculture, l’industrie, les municipalités, et la production d’électricité menace de devenir aiguë dans plusieurs régions du monde. En bas de leurs études la dernière ligne c’est qu’en 2040 le monde sera en face d’une crise de pénurie d’eau, si l’économie continue ‘comme d’habitude’ (business as usual). Actuellement 1,1 milliards de personnes n’ont pas un accès adéquat à l’eau. En 2025 environ 3 milliards de personnes manqueront d’eau.

A côté de ceci, les sècheresses accrues provoquent des problèmes imminents de fonte des glaciers. Un tiers de la population mondiale – Asie Centrale, Amérique Latine, Asie du sud – tient son eau des rivières provenant des glaciers de haute montagne. La réduction des flux provenant des glaciers de l’Himalaya impactera le Brahmapoutre, le Gange, l’Indus, l’Irrawaddy, le Mékong et le Yang Tse, tous alimenté par les glaciers. Ceci impactera plus de 3 milliards de personnes, plus d’un quart de la population mondiale. Ces tensions sur l’eau vont s’accroître dans les prochaines années.

L’avenir modélisé. Au début des années 1970, le Club de Rome – Groupe de réflexion regroupant des scientifiques, des économistes, de hauts fonctionnaires nationaux et internationaux, ainsi que des industriels de 53 pays – demande à des chercheurs du MIT (Massachusetts Institute of Technology) d’étudier l’évolution à long terme du système « Terre » et pour ce faire de le modéliser.

En 1972, Donella Meadows, Dennis Meadows, Jorgen Randers et 14 autres chercheurs mettaient la Théorie de la Dynamique des Systèmes en équations. Cette Théorie provient des travaux de Jay Forrester, professeur au MIT, concepteur du modèle informatique Word3. Ce modèle systémique va paramétrer le monde, en particulier la démographie, les productions industrielles et de services, la nourriture dans le monde, la pollution et l’épuisement des ressources non-renouvelables. Les relations entre tous ces paramètres vont être mises en équations. En introduisant des données réelles dans Word3, on peut simuler le comportement du « système Terre » jusqu’en 2100.

Le 1er scénario en mode ‘comme d’habitude’ (business as usual) montre le futur effondrement systémique de notre planète entre 2010 et 2030. L’économie industrielle et de services  décroche entre 2015 et 2025 plus rapidement que jadis le rythme exponentiel de leur croissance. La population mondiale commence à décroître inexorablement à partir de 2030. Les ressources non-renouvelables de la planète tombent dès 2030 à 25% de ce qu’elles étaient avant la période industrielle.

Des solutions ont été modélisées dans de nombreux scénarios en forçant certains paramètres. Les dernières solutions viables ont été publiées en 2004 dans le livre « Limits to Growth, The 30-Years Update » qui n’est paru en français qu’en 2012 sous le titre « Les limites à la croissance (dans un monde fini) ». Dennis Meadows s’est exprimé récemment à ce sujet en Europe. Il ne croit plus à la possibilité d’un scénario de « secours ». La chose est devenue trop importante pour la laisser sur la place publique – comme l’ont fait Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans leur livre(1) – et les appareils de sécurité d’état semblent avoir poussé Barack Obama à s’en préoccuper récemment.

Les experts des problèmes de sécurité d’état utilisent le terme de ‘multiplication des menaces’ pour désigner les impacts combinés du changement climatique, de la croissance de la population, des déplacements d’exilés climatiques, de diminution des ressources (fossiles, minerais) et de leur accès. De cette association de menaces combinées résulte un problème mondial beaucoup plus grand qu’il n’y parait et qu’il nous faut anticiper à partir de chacun de ces impacts. L’autre terme utilisé dans ce contexte est ‘point de basculement’ (tipping point), où il faut entendre le basculement du monde dans une nouvelle normalité. C’est vrai en particulier pour le nombre et l’intensité des conflits militaires auxquels il faut s’attendre à tout moment – c’est-à-dire les guerres.

De ces sombres prédictions surgit cette question : Pouvons-nous faire quelque chose pour éviter d’accroître les désastres liés au climat ? La réponse est simple : nous savons exactement comment faire pour éviter des problèmes plus importants et cela depuis plus de 30 ans : c’est de convertir nos systèmes d’énergie depuis le présent système complètement dépendant des carburants fossiles crachant des GES, vers un système essentiellement neutre en GES. En fait, la technologie pour ce faire existe largement, et aurait pu être déployée de façon appropriée en trois décennies si des incitations économiques utiles avaient été mises en place par les politiques. Pas sûr que cela suffise encore…

De quel avenir va-t-on pouvoir discuter en décembre 2015 à Paris ?

(1)
Comment tout peut s’effondrer, Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, 2015. Par Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Editions du seuil.
End Game, Tipping Point for Planet Earth? 2015. Par Anthony D. Barnosky, professeur à l’Université de Californie à Berkley, et Elizabeth A. Hadly, professeur à l’Université Standford, aux éditions William Collins, London.
Requiem pour l’espèce humaine. Par Clive Hamilton, professeur à l’Université Charles Sturt en Australie, aux Presses de la Fondation des Sciences Politiques, 2013.

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